1991.
« Tiens, v’là le fantôme. »
J’entends mais je n’écoute pas. Quand ils en auront marre de leur vanne pourrie, ils s’arrêteront. Peut être aussi qu’ils réaliseront qu’il y a plus intéressant à faire que de m’embêter. Tête droite, je vais m’assoir au fond de la classe. Je jette un œil au garçon assis à la table à côté de la mienne et d’un coup je me penche vers lui.
« Bouh ! »
Il sursaute et me regarde bizarrement, ça me fait rire. Oh, bah oui, moi aussi j’aime bien embêter les autres. Mais pas méchamment. Lui, il ose toujours pas me parler depuis la rentrée. J’ai décidé de briser la glace. Alors à la récré, je le retiens avant qu’il sorte.
« Tu veux voir un truc cool ? »
Il hoche la tête et je lui dis de me suivre. On ne va pas dans la cour mais dans une autre salle de cours, celle des grands. Je sais par mon grand frère qu’ils préparent des expériences chimiques. J’explique vite fait à mon nouvel ami (j’ai décidé que ce serait mon ami), et sous son regard médusé, je mélange quelques ingrédients telle une sorcière et pouf ! ça pète comme un volcan qui ferait des bulles. Sauf qu’après ça se met à gicler de la mousse. Et ça ne s’arrête pas.
« Oh oh. »
A cette époque je ne connais pas encore les soirées mousse mais je viens d’apprendre comment les faire. Y’en a partout, un magma de mousse qui n’en finit plus. Je peux pas m’empêcher de rire et on s’enfuit avant d’être repérés. On s’arrête, essouflés, dans un coin de la cour. Je m’adosse à l’arbre pour reprendre ma respiration puis je lui tends la main.
« Amis ? »
Il m’a serré la main. Quelque part, il ne l’a jamais lâchée. Lui, c’était, c’est toujours, Nolan. Mon meilleur ami, mon âme sœur. Avec lui, j’ai fait les 400 coups, pas de secrets, pas de tabou. Je nous avais  confectionné nos propres tenues de super héros, c’était trop chouette !

1994.
La mère de Nolan a trouvé un jules et est parti avec lui. J’ai couru derrière leur voiture jusqu’à ce que mes pieds n’en puissent plus et que les larmes aient comme creusé des sillons sur mes joues. C’est mon père qui est venu me récupérée sur la route, il me cherchait partout. Il ne m’a pas engueulée malgré son inquiétude, il m’a prise dans ses bras.
« J’arrive plus à respirer, papa. »
Il m’a caressé les cheveux et n’a rien dit. Inutile d’expliquer à une gamine de 10 ans qu’elle va s’en remettre. Il était comme ça mon père. Il ne parlait jamais pour ne rien dire. Il écoutait toujours en revanche. J’aurais bien aimé qu’il se mette avec la mère de Nolan. Lui, il a pas connu son père, et ma mère était morte quand j’avais quatre ans. On aurait pas été séparés. Surtout que j’avais pas beaucoup de nouvelles. Il ne recevait pas toutes mes lettres. A cause de son beau-père. Je suis allée le voir une fois dans sa nouvelle maison. C’était horrible. C’est là que j’ai commencé la boxe thaï. Fallait plus que mon costume de super héroïne pour le sauver des griffes du Grand Méchant de l’histoire. Ah, ce qu’on peut être niais ! C’est pas moi qui me suis chargée de le faire revenir. Mais le jour où il a débarqué, quatre ans plus tard, le lendemain j’étais devant chez lui.
« ça y’est, t’as trois poils au menton, tu te prends pour un ours Andrews ? »
Fini les gamins, on était des adolescents. Mais c’était comme si on s’était quittés la veille. Il m’a sourit, je me suis jetée dans ses bras. On a repris nos délires comme si rien ne pouvait nous séparer. Papa est mort un an plus tard. Putain de cancer. J’ai décidé que la vie était vraiment trop courte. J’ai fait l’amour avec Nolan. Pas parce qu’on était amoureux mais parce que ça me travaillait et je ne tombais jamais amoureuse, alors je voulais au moins faire ça avec un homme que j’aimais. C’était cool. Et quelques mois plus tard, je rencontrais quelqu’un.

2002.
« Depuis quand t’aimes les filles ? »
« Je sais plus quelle heure il était. »
Nolan m’a regardée, amusé. Les gens avaient toujours du mal avec mon humour un peu bizarre. Puis il est devenu sérieux.
« Je pars. Je m’engage dans l’armée. »
J’ai soupiré en regardant les étoiles.
« Ça t’ira bien la tenue camouflage. »
Je comprenais son choix, quelque part je m’en doutais. Moi, j’étais prise en fac de médecine. J’allais partir aussi. J’ai claqué sa cuisse et décrété qu’on devait se mettre une putain de race pour fêter ça. C’est ce qu’on a fait. Pendant trois jours. Et cette fois, on a fait nos valises ensemble. Maintenant, avec internet on pourrait communiquer sans problème. Et j’étais tellement contente qu’il étudie la médecine au sein de l’armée. On serait des super héros finalement, juste avec des uniformes sans slip sur le leggings moulant. Pas plus mal, si vous voulez mon avis.

2015

« Marraine !!! Oh lala t’es trop belle comme ça !!! On dirait la vraie ! »

Ce jour-là c’était l’anniversaire de ma nièce. J’ai débarqué habillée en Reine des neiges. L’avantage d’être albinos. Ma nièce était subjuguée, j’étais doublement son héroïne. J’en avais bouffé du Libérée, Délivrée depuis sa sortie. Mais j’aurais fait n’importe quoi pour elle. C’est la fille de Nolan et Savannah. Je l’aime comme si c’était la mienne. Angela. Mon petit ange. Je n’avais toujours pas d’enfants et honnêtement, je n’en voulais pas. J’avais eu deux grandes histoires, avec une femme puis un homme et les deux s’étaient mal terminées. Alors je passais mon temps avec mon boss, que ce soit en sorties ou au boulot. J’avais lâché la chirurgie pour virer médecin légiste. Comme dans les Experts ! Juste que la série abusait légèrement… Bref. Ce jour là c’est le dernier où j’ai vu ma famille. Ma petite puce, ma belle Nana et son ventre arrondi, Nolan.
Deux mois plus tard, le monde a basculé et j’étais aux premières loges. Un mort, bien amoché. Visiblement attaqué par un canibale. Le délire total ! Sauf quand on l’a vu essayer de se faire la malle avec un pouls à zéro et le bide ouvert. Mon assitant s’est fait agresser par ce mort pas vraiment mort. Ce fut le début de l’horreur. Inutile que je décrive la suite, on l’a tous vécu même si les histoires diffèrent légèrement.

2019

J’ai lutté, je lutte encore. Je n’ai jamais retrouvé les miens, j’ai perdu ceux qui étaient avec moi tout ce temps. Les derniers ont sombré pendant le séisme. Il ne manquait plus que ça.
J'ai du encore recoudre mon costume de Super Taupe. Oui oui, vous avez bien lu. Je vous expliquerais. je crois que je pète les plombs, un peu comme Tom Hanks dans Seul au monde. Je parle même à une peluche.  Des fois je me demande pourquoi je continue mais j’ai toujours l’espoir de les retrouver. Et puis, les héros ça n’abandonne jamais ! Mais je vais vous dire… J’ai la dalle !!!